On connaît la formule malicieuse de Barthes : « Les classiques, c’est ce qu’on lit en classe ». Autre formulation : « La littérature, c’est ce qui s’enseigne »1, expressions redondantes que l’on peut comprendre de deux manières, contradictoires et complémentaires : on étudie seulement en classe ce que la tradition a reconnu comme classique ; ce que l’on étudie en classe devient aussitôt classique.
Les nouveaux programmes apparaissent, à bien des égards, particulièrement classiques. Les chefs-d’œuvre consacrés y sont surreprésentés : Les Contemplations, les Fables, les Essais, Le Rouge et le Noir… Aucun auteur vivant n’est proposé à l’étude.
Toutefois, les lectures cursives et les parcours associés permettront d’étudier des œuvres importantes, déjà célèbres et plus récentes, et les mettre en regard des œuvres au programme.
Pour la poésie, on trouvera dans le manuel le poème « Hypermarché – novembre » de Michel Houellebecq (p. 115) ainsi que « La bicyclette » de Jacques Réda (p. 114). Par le regard tendre, sarcastique ou désespéré que ces poètes portent sur notre monde moderne, ils pourraient faire l’objet d’un parcours associé à l’étude d’« Alcools d’Apollinaire : modernité poétique ? ». La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains de Jacques Roubaud (p. 50) constituerait une lecture cursive intéressante et accessible.
Pour la littérature d’idées, l’étude des Essais de Montaigne ou des Lettres persanes montrerait comment nous avons appréhendé des mondes aussi différents qu’éloignés. La lecture cursive de La Servante écarlate de Margaret Atwood (p.138) compléterait cette analyse : en découvrant cette dystopie, les élèves seraient amenés à s’interroger sur notre propre monde, devenu étrange et terrifiant.
Pour le théâtre, on pourrait compléter l’étude d’« Oh ! Les beaux jours de Samuel Beckett : un théâtre de la condition humaine » par des extraits de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès (p.468), et de Devant la parole de Valère Novarina (p. 465). Lire de manière cursive Vertiges de Nasser Djemaï ou Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad (p ; 460) montrerait aux élèves comment le théâtre met en scène les crises d’identité, qu’elles soient historiques, religieuses ou sociales.
Enfin, en ce qui concerne le roman, après avoir étudié Le Rouge et le Noir, les élèves pourraient lire, de manière cursive, un roman réaliste contemporain tel que Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo, Swing time de Zadie Smith ou le tout dernier prix Goncourt Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu (p. 318).
De même que pour Julien Sorel et Madame de Rênal, ils interrogeraient les « valeurs » et « l’esthétique » de ces nouveaux héros, caïds désœuvrés, militantes idéalistes, fermiers abandonnés. De même, on compléterait l’étude d’un texte autobiographique tel qu’Enfance de Nathalie Sarraute par la lecture d’Une femme d’Annie Ernaux, Lambeaux de Charles Juliet ou L’Art de voler de Kim et Antonio Altarriba (p. 368).
Ces textes contemporains, déjà classiques pour certains, appelés à le devenir pour d’autres, montreraient aux élèves que la littérature peut être également grande et récente. Si nous aimons les valets insolents et les princesses langoureuses, les rats, les chats, les lions et toute la ménagerie des Fables, c’est aussi parce qu’ils suscitent des échos dans une littérature présente et vivante.
1.Cité par Antoine Compagnon dans Le Démon de la théorie.
Fabrice Sanchez
Auteur de l’esprit et la lettre
Enseignant au lycée Antoine de Saint-Exupéry, académie de Créteil
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