Étudier Oh les beaux jours avec des élèves de 1re représente un beau défi pédagogique, tant cette courte pièce de Samuel Beckett risque de désarçonner les lycéens par sa singularité. Après le succès de En attendant Godot, pièce écrite en 1948 et représentée pour la première fois en 1952, Beckett écrit entre 1960 et 1961 Happy Days en anglais, dont la première eut lieu à New York : traduite en français, Oh les beaux jours est joué à partir de 1963 à Paris dans une mise en scène de Roger Blin.
Pour bien saisir les enjeux de l’œuvre de Beckett, il faut la replacer dans son contexte de création. Pour cela, on utilisera avec un grand profit la double page consacrée au théâtre de l’absurde (p. 450-451), qui présente d’abord trois documents très complémentaires : la photo des deux personnages, Hamm et Clov, de Fin de partie dans la mise en scène d’Armand Delcampe en 1982, un passage de La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco et l’extrait d’un article écrit par l’homme de théâtre Jean-Pierre Sarrazac sur le « héros absurde », pour qui la catastrophe réside dans le fait d’être né. L’étude de ces documents, associée à la lecture des fiches complémentaires (p. 451), donne aux élèves toutes les clefs pour comprendre la conception moderne du théâtre par Beckett, en insistant notamment sur le refus du réalisme, le jeu avec le langage — qui échoue la plupart du temps, tout en permettant le contact avec l’autre — et le rôle primordial de la mise en scène, d’où l’importance des didascalies, si nombreuses dans Oh les beaux jours.
Les quatre textes choisis dans le parcours « Un théâtre de la condition humaine » sont parfaitement représentatifs du théâtre de Beckett et d’Ionesco. Au premier texte (p. 452), qui reprend la scène finale de En attendant Godot, fait écho le deuxième (p. 453), qui n’est autre que la lettre écrite par Beckett au metteur en scène Roger Blin, à qui il propose une correction de jeu de scène : quand Estragon dénoue la corde qui maintient son pantalon pour pouvoir se pendre, le pantalon doit tomber en bas de ses chevilles d’un seul coup, même si cela suscite le rire dans la salle en dépit du tragique de la situation. « Ça doit vous sembler stupide, écrit Beckett à Blin, mais pour moi c’est capital » : cette lettre témoigne de l’importance des accessoires et de la mise en scène dans toutes les pièces de Beckett. Le troisième texte (p. 454) est un extrait de l’œuvre au programme, Oh les beaux jours, dans lequel Winnie constate que « même les mots vous lâchent » : ce passage permet d’étudier précisément le rôle joué par les didascalies et de se livrer à une analyse du métalangage dans la pièce. La question de la mise en scène pourra également être abordée avec intérêt grâce à l’image associée, à savoir une photo de la mise en scène de Marc Paquien au Théâtre de la Madeleine en 2012, avec Catherine Frot et Pierre Banderet. Le dernier texte de ce parcours (p. 455), tiré de la pièce Les Chaises d’Ionesco, permet de voir les similitudes qui existent entre cet auteur et celui de Oh les beaux jours : la question du corps des comédiens, le rôle des didascalies et le thème du néant.
La version numérique du manuel offre, en outre, des ressources inestimables. On trouvera ainsi deux archives de l’INA : l’une, radiophonique, nous fait entendre la voix de Roger Blin lisant une lettre de Samuel Beckett, tandis que l’autre est une vidéo de 1968 dans laquelle le même Roger Blin explique comment il a rencontré Beckett. Dans cette entrevue, le metteur en scène raconte les réticences des directeurs de théâtres à monter En attendant Godot, avant que le petit Théâtre de Babylone y consente en 1952, grâce à l’enthousiasme de Jean-Marie Serreau et de Georges Neveux. Par le biais de ce document, on prend conscience de l’écriture avant-gardiste du dramaturge. Autre ressource précieuse fournie par le manuel : la diffusion, sur France Culture, de la captation audio de Oh les beaux jours à l’Odéon Théâtre de France en 1964 dans la première mise en scène de Roger Blin, avec Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. On entend, dans ce document sonore, le jeu lyrique de la grande Madeleine Renaud, grâce à laquelle la pièce fut un triomphe dès la première représentation et pendant une vingtaine d’années. Il sera intéressant d’étudier, dans quelques séquences, les choix de mise en scène, de jeu et d’intonations des acteurs, au regard des didascalies précises rédigées par l’auteur, puisque l’on connaît son exigence en la matière.
Florian Réveilhac
Auteur de L’esprit et la lettre
Enseignant au collège Georges Brassens de Persan (95), Académie de Versailles.
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